Ces plants, enchevêtrés sur un réseau complexe de câbles et de fils, font partie d'un projet unique d'agriculture "indoor" développé par la start-up espagnole, en quête d'un mode de production alternatif pour cette liane herbacée vulnérable au changement climatique.
Objectif: préserver le goût et les arômes de la bière, étroitement liés au houblon aromatique, ingrédient essentiel à la fabrication de cette boisson - avec le malt, l'eau et la levure - grâce à ses acides alpha, qui génèrent l'amertume et facilitent sa conservation.
Selon les experts, la hausse des températures et les sécheresses provoquées par le réchauffement climatique rendent les récoltes de houblon de plus en plus imprévisibles en Europe, réduisant les rendements et la concentration des fameux acides alpha.
Cette tendance risque de se poursuivre, selon un article scientifique publié récemment dans la revue Nature Communications, qui prédit une baisse de rendement de presque 20% et une chute de la teneur en acides alpha de 30% à l'horizon 2050. De quoi inquiéter la filière.
Avec le changement climatique, "la prévisibilité n'existe plus", explique à l'AFP Giacomo Guala, expert en houblon pour la Copa-Cogeca, qui regroupe les principaux syndicats agricoles de l'UE: "Vous n'avez pas de pluie quand vous êtes censé en avoir et vous en avez trop quand vous n'êtes pas censé en avoir."
Moins d'eau
Disposer d'un approvisionnement stable en houblon est "crucial", car il n'y a pas d'alternative pour donner cette amertume, insiste José Luis Olmedo, responsable de la recherche chez Cosecha de Galicia - la branche innovation de la brasserie Hijos de Rivera, qui fabrique la bière Estrella Galicia.
Dépendant jusqu'à présent du houblon cultivé en plein champ, le groupe espagnol a rapidement vu le potentiel du projet d'Ekonoke et s'est associé à la start-up, en apportant une part importante des 4,2 millions d'euros levés par l'entreprise en 2022.
"Ce qui intéresse le plus les brasseurs, c'est la garantie d'un approvisionnement en quantité et qualité", explique Inés Sagrario, directrice générale d'Ekonoke, dans sa ferme pilote de 1.200 mètres carrés à Chantada en Galice, où la première récolte a eu lieu mi-février.
La start-up a commencé ses essais dans son laboratoire de Madrid en 2019 avec quatre plants.
Depuis, elle a appris progressivement à réduire le temps de croissance du houblon, mais aussi ses besoins en eau, aujourd'hui "15 fois moins" importants qu'à l'extérieur.
Cycle réduit
"Nous contrôlons tous les paramètres environnementaux et nutritifs, mais aussi l'éclairage", avec des lampes LED reproduisant les couleurs et l'intensité du soleil à chaque étape du cycle de croissance, explique Mme Sagrario. Cela permet de "fournir à la plante ce dont elle a besoin quand elle en a besoin", poursuit-elle.
Dans l'entrepôt, une odeur enivrante de houblon imprègne l'air, tandis qu'une énorme grappe chargée de fleurs attend d'être ramassée.
Cultivées sans terre, les lianes sont alimentées via un circuit fermé permettant une réutilisation constante de l'eau enrichie en nutriments, sans pesticides.
"Dans les champs, bien que le cycle soit de six mois, on ne peut récolter qu'une fois par an", explique Ana Saez, agronomiste et directrice des opérations. "Ici, comme nous pouvons contrôler et reproduire +le printemps+, nous avons réduit le cycle à trois mois."
Ekonoke prévoit d'ici la fin 2025 une production à grande échelle dans une structure de 12.000 mètres carrés.
Pour Mirek Trnka, bioclimatologue à l'Académie tchèque des sciences, la culture indoor, quoique intéressante, risque toutefois de ne pas suffire face à la demande mondiale. "Il faudrait accroître fortement" le nombre d'installations pour assurer "le niveau actuel de production", explique-t-il à l'AFP.
Chez Ekonoke, on table sur les variétés hybrides, capables de "donner plus de quantité et de qualité" avec "moins de ressources", pour résoudre une partie du problème.
Un développement dont les cultivateurs traditionnels ne doivent pas s'inquiéter, selon la start-up. "Nous ne les menaçons pas, c'est le changement climatique qui les menace", résume Inés Sagrario.