29 octobre 2015
La première introduction en Bourse d'un acteur du streaming musical, celle du français Deezer, n'a finalement pas eu lieu; un report symbolique qui met en lumière les difficultés des services d'écoute en ligne à présenter un modèle économique convaincant pour les investisseurs.
Coup de théâtre mardi soir: l'introduction en Bourse de Deezer, le champion français du streaming musical et un des pionniers mondiaux du secteur, a été reportée "en raison des conditions de marché". Le test, tant attendu pour une première du genre, envoie un mauvais signal pour les entreprises du secteur.
Deezer, qui a assuré dans un communiqué disposer de capacités de financement pour "poursuivre sa stratégie de croissance", ambitionnait de lever 300 millions d'euros en entrant à la Bourse de Paris.
L'opération aurait pu valoriser le groupe à plus d'un milliard d'euros.
Malgré un nombre important d'investisseurs ayant montré leur intérêt, le service de streaming n'a pas réussi à remplir suffisamment son carnet d'ordre pour mener son projet au bout.
"C'est une grande déception", indique Greg Revenu, directeur associé de Bryan Garnier & Co et spécialiste des introductions en Bourse des start-up, pour qui le report de cette opération traduit "une inquiétude" des investisseurs concernant le plan d'affaires des acteurs du streaming musical en général et non celui de Deezer en particulier.
Car si la jeune pousse française a enregistré en 2014 un bond de son chiffre d'affaires de 53%, à 142 millions d'euros, elle n'est toujours pas rentable. Tout comme son concurrent suédois Spotify, valorisé à plus de 8 milliards de dollars.
Pourtant, les spécialistes du secteur voient tous dans les services en ligne le "futur" de l'industrie musicale, au détriment du téléchargement de titres à l'unité et des ventes physiques d'albums.
Selon un bilan établi début septembre par le principal syndicat de producteurs de disques français, les revenus issus de l'écoute des morceaux en ligne représentent désormais "la moitié du chiffre d'affaires des ventes physiques" (CD, vinyles) en France, avec 58,6 millions d'euros de chiffre d'affaires, en croissance de 42% sur un an.
Brouillard épais
Malgré ces chiffres encourageants, la formule miracle reste difficile à trouver notamment en raison de la forte dépendance des plateformes avec les maisons de disques pour proposer leurs contenus.
"Le coût des ayants droits et des "royalties", avec une forte concentration de majors, sont très élevés" et pèsent sur la rentabilité de ces acteurs, explique M. Revenu, alors que dans le secteur du streaming vidéo Netflix a réussi à devenir moins dépendant des grands studios en produisant ses propres programmes.
Second motif expliquant la frilosité du marché, la structure d'abonnement "complexe" de Deezer.
La plateforme "a la particularité spécifique d'avoir une intégration forte avec les opérateurs mobiles" notamment Orange en France, explique M. Revenu.
En effet, sur les 6,3 millions d'abonnés que compte la plateforme, seuls 1,5 million payent directement leur abonnement à Deezer, contre 4,8 millions qui bénéficient d'un abonnement inclus dans leur forfait téléphonique ou interne (dont 1,5 million ont été actifs au mois de juin 2015).
Enfin, "le facteur contextuel difficile" a aussi beaucoup joué selon l'analyste.
Le titre de la radio en ligne Pandora a chuté de plus de 35% à la Bourse de New-York vendredi après avoir publié des résultats décevants, tandis que les bénéfices de Netflix ont été divisés par deux au troisième trimestre, à 29,4 millions de dollars.
Si la demande est bien réelle, la concurrence fait rage entre les acteurs, avec Spotify qui revendique 75 millions d'utilisateurs dont 20 millions pour sa version payante, et Apple Music qui compte déjà 6,5 millions d'abonnés à peine quatre mois après son lancement.
Sans compter l'envie de YouTube, la plateforme en ligne du géant Google, qui veut lui aussi se positionner sur ce créneau avec le lancement d'une offre d'abonnement payante permettant de visionner ses contenus sans publicité.