L'exorcisme n'aura pas lieu : la police russe a arrêté jeudi un chamane sibérien qui avait entamé un interminable périple à pied à travers le plus grand pays du monde avec l'ambition de bannir le "démon" Vladimir Poutine.

Alexandre Gabychev, qui avait entamé en mars sa marche et prévoyait d'arriver en 2021 à Moscou, a été interpellé dans la nuit de mercredi à jeudi dans la république russe de Bouriatie, en Sibérie orientale, pendant qu'il campait avec des disciples sur une autoroute proche du lac Baïkal.

Il a été renvoyé dans sa région natale de Iakoutie, où il est "recherché pour avoir commis un crime", selon la police qui n'en a pas précisé la nature.

"Il y a quelques minutes, la route a été fermée par des policiers armés. Ils ont rapidement cerné notre camp et ont été directement dans la tente du chamane. Ils étaient quelques dizaines", a raconté l'un de ses "suiveurs" sur la chaîne YouTube d'Alexandre Gabychev, où il conte son aventure.

L'ambition de ce chamane de 51 ans, une fois arrivé dans la capitale russe, était d'organiser une "cérémonie d'exorcisme de Poutine".

"Dieu a dit qu'il était un démon. La nature ne l'aime pas. Là où il est présent, il y a des cataclysmes et des actes de terrorisme", a déclaré le chamane sibérien à la chaîne de télévision d'opposition Dojd en juillet.

"Une fois qu'il sera parti, il y aura mille ans de calme et de prospérité", a-t-il encore assuré devant des centaines de ses partisans lorsqu'il se trouvait dans la ville sibérienne de Tchita, portant un t-shirt à l'effigie de Che Guevara.

Ces dernières semaines, il a été rejoint dans son périple de 8.000 km, dont 3.000 déjà parcourus, entre sa ville de Iakoutsk et Moscou, par un petit groupe de disciples, convaincus ou amusés par ses déclarations sur le président russe. Cela lui avait aussi valu des reportages à charge sur les chaînes de télévision publiques russes et des problèmes avec les autorités locales.

- "Poutine a peur" -

Alexeï Navalny, le principal opposant au Kremlin, s'était moqué ces derniers jours de cette réaction du pouvoir : "Poutine a peur. Il trépigne déjà et crie : +Mon Dieu, sauvez-moi de ce chamane. Et s'il m'exorcisait vraiment ?+", a-t-il ironisé.

L'organisation Amnesty International a de son côté appelé à la "libération immédiate" d'Alexandre Gabychev, jugeant la sévérité des autorités russes "grotesque". "Sont-ils vraiment effrayés de ses pouvoirs magiques?", ajoute l'ONG dans un communiqué.

"Ce qui ressemblait à un conte du folklore russe s'est transformé, dans la Russie actuelle, en un nouvel acte brutal de suppression des droits humains", a souligné Amnesty, qualifiant le chamane de "prisonnier de conscience" victime d'une "détention arbitraire".

En août, l'arrivée du chamane à Oulan-Oudé, la capitale de la Bouriatie, avait provoqué des échauffourées. D'autres chamanes lui avaient interdit l'accès à la ville et plusieurs de ses fidèles avaient été arrêtés. Des manifestations en faveur de ces derniers avaient suivi.

Interrogé début juillet par Radio Svoboda, Alexandre Gabychev a accusé Vladimir Poutine d'avoir plongé la Russie "dans une illusion de peur et de dépression". "Mais un sorcier blanc comme moi peut dissiper cette illusion. Ici, la politique est inutile. C'est sorcellerie contre sorcellerie".

Autrefois très pratiqué dans les régions isolées de Sibérie et d'Extrême-Orient, le chamanisme, qui se veut une intercession entre l'homme et les forces de la nature, a beaucoup souffert de la période soviétique, quand il était interdit et devait être pratiqué en cachette.

Il connaît depuis la fin de l'URSS un regain d'intérêt, même si les critiques estiment qu'il n'a plus grand-chose à voir avec le chamanisme des origines.